Reste-t-il quelqu’un à bord du cockpit pour écouter ? (par Allas Di Tlelli)
Un criminel ou un terroriste est par définition une créature sans humanité, sans discernement et donc sans limites dans sa nuisance et dans sa spirale destructrice. Cela, nous le savons depuis trop longtemps. J’ai envie de dire, depuis toujours tant c’est toute notre existence de Kabyles, d’Amazighs et tout simplement d’humains épris de vie, de beauté, de paix et de liberté qui en est imprégnée de bout en bout, et même d’une manière atavique.
Aussi, aucune lutte n’est facile, aucun idéal n’est gratuit. C’est ainsi ou alors, c’est la démission, l’abdication, la soumission et la disparition.
Kamira Naït Sid, Sliman Bouhafs, Djamel Ikni, Bouaziz Aït Chebib, Sofiane Babaci, Hocine Azem, Becha Boussad, Djamel Azaïm, Younes Bounadi, Lvaxuch Awanuth, Lounes Hamzi… savaient tout ça. Je pense qu’ils sont plus forts que ce qui leur arrive et ce, même si, ce n’est jamais facile de se retrouver là où ils sont, avec beaucoup d’autres, tellement d’autres…
Les tenants du pouvoir algérien ont emprisonné à chaque époque, pour être contraints de « reconnaître » plus tard, que les raisons de leurs décisions étaient démesurées, voire injustes. À chaque fois, ils finissent, à défaut d’une reconnaissance franche, par tolérer les causes et les militants qu’ils avaient diabolisés, embastillés et torturés. Les prisonniers politiques d’aujourd’hui n’en feront pas exception. Certes, la prison est difficile, mais les prisonniers politiques kabyles n’ont jamais été aussi connus, aussi honorés et aussi aimés au sein des leurs. C’est cela qui fait d’eux, aujourd’hui, les sentinelles de notre liberté de demain, lorsque, à nouveau, l’État algérien, saura qu’il s’est fourvoyé dans une énième voie sans issue.
Dès lors, pourquoi un État, quel qu’il soit, se rend-il coupable d’exactions et d’atteinte gravissimes et massives aux droits humains, sachant que l’histoire l’en condamnera tôt ou tard et qu’il sera amené, comme toujours, à trouver des parades pour se justifier devant l’opinion, voire de tenter de prendre langue avec ses otages d’aujourd’hui ? Même pas le maintient du pouvoir, même pas les privilèges qui vont avec, même pas la haine de l’autre, ne mérite un tel investissement en temps, en argent, en mensonges et en violations quotidiennes des droits les plus élémentaires de la personne humaine. Recourir à autant de volontarisme pour faire diversion ou faire des appels de phares pour satisfaire une demande sociale perverse et raciste, en vue d’en puiser une légitimité qui a foutu le camp à cause de ces mêmes agissements, relève, au mieux, de l’inculture et/ou de l’irresponsabilité.
La violence policière, judiciaire et carcérale, exercée sur des militants pacifiques, risque d’achever ce qui reste de la politique dans la rue et au sein des populations déjà asséchées, dépitées et martyrisées par l’arbitraire, le racisme, le déni identitaire, le chômage, la mal-vie, la crise sanitaire, la déliquescence des quelques structures de santé qui existent, les incendies, les manipulations, la propagande et l’intox… Cette perspective est à craindre à plus d’un titre, car c’est dans l’assassinat de la politique que la violence s’affirme et prend racine pour échapper ensuite à tout contrôle. Arrivée à ce stade, personne n’est fort, personne n’est épargné, pas même l’État qui en était le point de départ. En effet et cela est vérifiable dans l’histoire et dans beaucoup de régions du monde contemporain, si on achève la politique, on ne fait qu’inciter une jeunesse privée de ses libertés, à adopter la violence comme moyen de lutte. Qui sera responsable d’une telle situation ? Qui sera jugé, cette jeunesse qu’on malmène et qu’on enferme à tour de bras ou cet État qui, en principe, devrait, incarner la justesse et la pondération ?
La violence est un délit, un crime universel, qu’elle émane d’un individu, d’un parti politique ou d’un État. Quand c’est un État qui la produit, le forfait est beaucoup plus grave, les conséquences, sans commune mesure. La violence qui peut paraître au début comme un moyen de soumettre le plus grand nombre à sa toute-puissance, a toutes les chances de finir par tout emporter, y compris l’État lui-même qui en était l’élément déclencheur. Bien que les scénarios changent, chercher à chaque fois un bouc-émissaire pour maquiller ses propres dérives politiques, devient, à la longue, grossier et surtout contre-productif.
Aussi, comme d’aucuns peinent à différencier entre similitude et égalité, il est plus que temps, pour les décideurs algériens, de cesser de confondre peur et soumission, flegme et allégeance… Aucun dialogue serein ne pourrait se tenir dans les conditions de terreur qui prévalent présentement, aucune vie politique n’est possible quand la violence et l’arbitraire sont à ce point systématiques et racialisés, aucune solution n’est viable quand le besoin d’exciter les bas instincts de la meute, prend le pas sur le devoir de sagesse et de responsabilité.
À ce propos, s’il reste encore une seule personne au sein de l’État algérien qui serait encore sereine et en capacité d’entendre cette petite voix du montagnard que je suis, qu’elle fasse en sorte que cette voie périlleuse empruntée par ses pairs, soit abandonnée dans les meilleurs délais et ce, pour permettre à tous les innocents qui sont exilés et faits apatrides depuis des années et à tous les innocents qui croupissent présentement dans les prisons algériennes, de retrouver leur liberté et leurs proches. Un tel geste d’apaisement, en ce moment précis, est ce qui peut arriver de mieux pour tout le monde.
Liberté pour Djamel Ikni, Slimane Bouhafs, Lvaxuch Awanuth, Kamira Naït Sid et pour tous les prisonniers politiques.
Allas Di Tlelli
02/09/2021