Interview avec le chanteur Mohand Ait Challal : « Les forces démocrates deviennent minoritaires… »

Connu pour son calme et sa sagesse, mais aussi pour sa révolte et sa colère quand il s’agit de défendre les siens. L’artiste Mohand Ait-Challal, qui vit en France depuis plusieurs années, c’est son répertoire qui parle de lui. Dans ses albums, il a toujours dénoncé toutes les dérives commises sur sa terre natale.

Nous l’avons sollicité pour une interview, il a bien accepté de nous l’accorder. Vous trouverez ci-dessous son contenu.

Isahliyen : Avec une petite présence sur les réseaux sociaux, vous êtes loin de la scène artistique même avant le Covid-19. Peut-on connaître la raison ?

Mohand Ait Challal : La raison est simple, je ne suis pas professionnel. Je gagne ma vie en dehors de la chanson. La musique c’est juste une passion et un refuge. Je partage ce que je fais sur les réseaux sociaux qui sont des canaux d’expression des opprimés et des marginaux. Sur ces réseaux, j’ai eu la chance de découvrir des écrivains, des artistes, des poètes, des intellectuels respectueux que je n’ai pas découvert sur les plateaux de télévisions ou à la radio. Sur ces réseaux, on partage librement son travail sans passer par la dictée des intermédiaires.  

Votre dernier album traite de la misère sociale et culturelle en Algérie et n’a été édité qu’en France. Parlez-nous des thématiques que vous y traitez…

«Dès que je commence à penser je me retrouve en rupture avec le monde », pour reprendre Schopenhauer.

Je ne sais pas trop quoi dire, cet album reflète peut-être ma solitude et mon isolement volontaire. J’ai le sentiment que c’est le fond de mon âme authentique.  Je m’isole, non pas parce que je n’aime pas les gens, mais parce que je m’épuise au contact du monde, le bruit, la foule, les discussions trop longues. La solitude en quelque sorte est devenue ma patrie et je me sens mieux dans mon silence profond. Pas par fierté mais par respect à moi-même.

Toujours dans cet album, vous avez dénoncé le Pouvoir en place et sa politique de déracinement…

C’est un peu ça. Un vrai faux pays serait celui qui aurait des apparences indépendantes, une prison sans murs dont les prisonniers auraient l’amour et la fierté de leurs chaines. Le dogme d’avoir libéré un pays qui ne nous appartient pas.

En vous écoutant, on sent une certaine tristesse qui se dégage de vos vers. Êtes-vous de ces artistes qui souffrent en silence mais se soulagent grâce à la chanson ?

Dans ma vie j’ai traversé des épreuves comme tout le monde, j’ai connu la faim, l’humiliation, la trahison, le mépris et j’en passe. Souffrir dans le silence et s’exprimer de l’intérieure me parait intime.  

Seul le silence peut répondre à mes innombrables questionnements et la musique me permet d’exprimer mes souffrances internes, le poids de l’exil, la fuite comme le dernier recours, partir pour échapper à l’emprise des forces brutales, faussement fraternelles, archaïques d’un milieu resté immuable malgré l’illusion d’un paraître. Partir pour faire éclater les chaînes de la dépendance et celles de la fatalité de la soumission volontaire. Partir pour être libre dans mes choix, mais aussi partir est un déchirement profond dont on ne se remettra jamais.

Quel commentaire avez-vous sur la situation politique qui règne en Kabylie actuellement?

Les forces démocrates reculent, deviennent minoritaires, l’obscurantisme avance comme un désert, mais je garde espoir quand je vois ces jeunes filles kabyles toutes belles. Avec leurs instruments qui fredonnent de belles chansons, j’ai des frissons. Ça m’arrive de pleurer de joie, nous n’avons pas tout perdu… Enfin presque.

Et que pensez-vous du dernier soulèvement populaire auquel a pris part même La Kabylie ?

Il y a encore fort à faire pour soustraire ce qui reste de cette terre aux intérêts des multinationales. Le passé de l’Algérie est plus beau que son présent. Dans ce soulèvement, la Kabylie est entre deux feux.  Il ne faut pas oublier que nous sommes des sociétés travaillées à la fois par la culture tribale et la superstition religieuse.

Ces jeunes excités sont des proies parfaites pour les sectes. Quand on ne sait pas qui on est, on est ravi qu’une dictature vous prenne en charge. La majorité des slogans des marcheurs sont d’ordre religieux, les décideurs cèdent à la pression de la rue qui ne demande qu’une vie basée sur des principes religieux. Il suffit que les gouverneurs trouvent l’argent pour acheter la paix sociale, tout le monde va rentrer dans les rangs et les gardiens de la pensée prendront le relais ; vous savez le pouvoir n’est pas forcement là où on en pense, on ne condamne pas ce que notre idéologie approuve. La Kabylie a intérêt de prendre son destin en main, je ne vois pas d’autres alternatives.

En tant qu’artiste, quel est l’avenir de la chanson en Kabylie dans l’état actuel des choses ?

Je suis loin d’être un artiste, et mal placé pour donner un avis sur ce sujet en tant que tel. Dans mon cas je n’ai rien ramené de plus à la chanson Kabyle. Il ya des grands artistes légitimes et mieux placés qui pourront aborder ce sujet sensible. Comme auditeur, je dirais plutôt que la chanson Kabyle reflète l’image de notre société.

Avez-vous des projets artistiques en perspective ?

Je vis au jour le jour, je ne prévois jamais rien. Quand j’ai le cafard j’écris sinon je ne me force pas à noircir une feuille blanche.

Propos recueillis par: Azwaw